jeudi 28 novembre 2013

Accord de commerce UE USA (TTIP) : le péril chimique

Ce sera « le plus gros traité de commerce au monde », d'après le site web de la commission européenne. En négociation depuis juillet 2013, le «Transatlantic Trade and Investment Partnership » (TTIP) veut harmoniser les règles réglementaires des deux côtés de l'Atlantique. Autrement dit, faire sauter des barrières non douanières au commerce. De plus en plus de voix dénoncent l'opacité des négociations et les risques qu'il fait peser sur la souveraineté des Etats européens et sur la réglementation européenne. Risque réel, ou intox ? En ligne de mire des négociateurs américains, il y a en particulier le règlement Reach sur les produits chimiques, ennemi à abattre.

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Alors que le deuxième round des négociations entre la commission et les USA vient de s'achever le 15 novembre et que le cycle suivant est prévu à Washington en décembre, des voix s'élèvent pour mettre en garde contre le « Partenariat pour le commerce et l'investissement transatlantique», TTIP en anglais, qu'avaient lancé Obama, Barroso et Van Rompuy en février 2013. Derrière l'objectif mirifique de faire de la relation économique entre l'Europe et les USA « un plus grand moteur de prospérité », ce traité menacerait en réalité la souveraineté européenne, par exemple l'encadrement des OGM et des produits chimiques. Qu'en est-il vraiment ?

Le sujet : s'attaquer aux barrières non douanières
Le but du traité n'est pas de diminuer les taxes douanières entre l'Europe et les Etats-Unis : celles-ci ont déjà été laminées par les cycles de négociations du GATT, comme l'Uruguay Round au point qu'elles ne sont plus que de 4% en moyenne. Cette fois, il s'agit de lutter contre ce que les experts appellent les barrières non tarifaires au commerce : normes sanitaires et environnementales. Par exemple le règlement Reach sur les produits chimiques.

L'intérêt : générer du PIB
« Des recherches indépendants montrent que le TTIP pourrait accroître l'économie européenne de 120 milliards d'euros par an et l'économie américaine de 90 milliards. (…) Jusqu'à 80% de ces gains globaux viennent de réductions de coûts liés à la bureaucratie et aux régulations, ainsi que de la libéralisation du commerce des services et des achats publics » (source : site web de la commission européenne).

Et le communiqué de la commission issu du deuxième round de négos (novembre 2013) ajoute :
« Les secteurs dans lesquels à la fois les USA et l'Europe souhaitent développer la compatibilité réglementaire sont : les appareils médicaux, les produits pharmaceutiques, les produits chimiques, les pesticides, les technologies d'information et de communication. Plus de secteurs pourront être discutés lors du prochain round en décembre ou plus tard ».

Ces éléments étant posés, passons en revue les sujets qui fâchent, en reprenant deux blocs de critiques récents, celui formulé par l'ONG Ecologie sans frontière (publié par l'Express) et celui d'un article de presse hollandais, relayé par Press Europ.

OGM
« Les multinationales américaines et canadiennes pourront exporter dans l'UE des viandes hormonées ou chlorées, des OGM ou encore de produits comportant des pesticides dont l'utilisation est actuellement interdite », écrivent Franck Laval et Sophie Bourges d'Ecologie sans Frontière, dans l'Express.

Vraiment ? Pas si sûr : à la question de savoir si l'UE sera obligée de changer ses lois sur les OGM, les FAQ de la commission sur le traité, en ligne sur le site de Bruxelles, sont claires : « Non, pas du tout. Les lois de base, comme celles sur les OGM et celles qui protègent la vie humaine, la santé animale, le bien-être, l'environnement et les intérêts des consommateurs ne feront pas partie des négociations ».

Verdict : une double contradiction. D'une part le traité s'intéresse aux produits chimiques, donc aux pertubateurs endocriniens donc à la santé humaine. D'autre part les OGM en sont bien exclus et l'ONG force donc le trait (elle a raison d'être vigilante).  

Energie
« C'est notamment l'interdiction de la fracturation hydraulique qui ne pourra pas résister longtemps aux entreprises du secteur énergétique », disent les deux compères d'Ecologie sans frontière.

Là, ils crient au loup un peu trop vite... Car on voit mal la France signer un traité anti-constitutionnellement. En France, la fracturation hydraulique est interdite par une loi de juillet 2011, confirmée récemment par le conseil constitutionnel. Si ce blocage saute, ce ne sera pas à cause de ce traité, mais d'un revirement de l'opinion française (c'est mon opinion).

Trop d'arbitrage à venir
Le loup a été levé par le journal hollandais NRC Handelsblad, traduit en français par le site Presseurop . Les négociations porteraient aussi sur le renforcement du mécanisme d'arbitrage. L'arbitrage ? Ce sont ces procédés jurifiques qui permettent aux grandes entreprises d'attaquer les Etats devant des tribunaux d'arbitrage, pour préjudice ou atteinte aux principes de libre concurrence. Par exemple, « quand l’Allemagne a décidé après la catastrophe de Fukushima de cesser de recourir à l’énergie nucléaire, la société suédoise Vattenfall a invoqué un traité d’investissement bilatéral pour réclamer 700 millions d’euros », écrit NRC Handelsblad.

Si l'UE accepte la généralisation de l'arbitrage dans le cadre du traité TTIP, « Nous jetons notre souveraineté en pâture", estime Monique Goyens, la directrice du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC, 43 associations membres dont UFC Que choisir), interrogée par ce journal.

Un vrai sujet donc et un vrai péril, que l'arbitrage.

Chimie : Reach, l'ennemi à abattre ?
Affaiblir Reach, c'est certainement un des gros enjeux des négociations. Reach ? C'est le règlement européen « Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals ». Entré en vigueur en 2007 il impose aux fabricants de produits chimiques de notifier les composants chimiques qu'ils utilisent, en spécifiant leur degré de dangerosité (perturbateurs endocriniens, par exemple, ou gentilles molécules). Le règlement, bien qu'il soit complexe et sans doute un peu trop bureaucratique dans sa mise en oeuvre, est largement reconnu, en Europe, comme une avancée majeure vers plus de transparence et de maîtrise des risques chimiques. Oui mais aux USA, la vision est loin d'être la même.

D'après la plus grosse association d'entreprises chimiques aux USA, la Society of Chemical Manufacturers and Affiliates (SOCMA), Reach est ni plus ni moins que « la plus grosse barrière commerciale européenne pour les petits et moyens producteurs chimiques américains » (selon le site Environmental Leader

De fait dans un communiqué de presse daté du 20 novembre et faisant référence aux négociations en cours, la SOCMA, qui regroupe par exemple des filiales américaines d'Air Liquide et de BASF, déclare que « Reach, qui est fondé sur le principe de précaution au lieu de l'approche américaine de la gestion de produits chimiques, fondée sur les risques, et la plus grosse barrière que les membres de la SOCMA ont devant eux pour exporter en Europe »

Face à ces intolérables barrières au progrès universel, la SOCMA appelle à la création d'un médiateur « ombudsman » pour faciliter l'accès des entreprises chimiques américaines aux marchés européens et à augmenter le personnel de l'agence européenne en charge de Reac, l'ECHA. (Créer des emplois publics !!)


Le mot clef de la fin : vision du monde, ou coopération
D'après la Commission européenne, « le mot clef (du traité) est la coopération réglementaire : créer des réglementations similaires plutôt que de devoir les adapter plus tard ».

Sur le papier, cela ne semble pas stupide, mais encore faudrait-il que les visions du monde soient partagées. Or sur les OGM, sur le port des armes à feu et on vient de le voir, sur le principe de précaution, c'est loin d'être le cas. Conséquence, la réglementation similaire risque bien de se transformer en plus petit dénominateur, ou en nivellement vers le bas.

Mais que les Européens se rassurent un peu :  puisque le projet de traité devrait être signé par les 28 pays de l'Union européenne pour pouvoir entrer en vigueur, et vu qu'il touche à des sujets sensibles dans l'opinion publique (OGM, perturbateurs endocriniens … ), on peut parier sans risque qu'il ne verra pas le jour. 

Et c'est ainsi que les hommes vivent...

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